dimanche 22 novembre 2015

Duane Michals, la narration séquentielle photographique

Things are queer (1973) est sans doute la séquence photographique la plus célèbre de Duane Michals. Une série de 9 photographies dont la première est marquée par l'insignifiante banalité, une salle de bain. Sept clichés plus tard, le photographe nous a perdu dans un dédale spatio-temporel pour nous ramener à cette un peu moins banale salle de bain, un peu à la manière des planches de BD Little Nemo de l'américain Mac Cay. C'est là que s'exerce l'art de Duane Michals, un récit photographique qui convoque le plus souvent l'irrationnel, le surréalisme et c'est là que se glisse sa poésie. Duane Michals est donc autant un photographe qu'un narrateur-plasticien.

Duane Michals (1932-) né en Pennsylvanie, fils d'ouvrier, il s'est formé à Denver puis à New-York, il devient graphiste et se découvre un intérêt pour la photographie après un voyage en Union soviétique (1958). 



Il devient photographe pour des magazines célèbres Vogue, Life et commence à exposer ses travaux.
D'abord reporter, il trouve au début des années 60, une nouvelle voie à explorer dans la photographie : influencé par les peintres Magritte ou encore Balthus, il envisage désormais la photographie comme un autre moyen d'expression pour aborder des sujets philosophiques ou littéraires. Il combine ainsi des photographies à du texte pour évoquer des sujets qui l'obsèdent : la mort, la sexualité, les mystères de l'existence. Même si il n'invente pas véritablement le procédé (dès 1840, Bayard et sa série d'autorportraits du noyé)  on peut dire que c'est lui qui développe l'idée de la "narration séquentielle" photographique, de méticuleuses mises en scène de plusieurs photographies progressivement agrémentées d'un texte.
Il publie d'ailleurs en 1970 son célèbre recueil Sequences.




Sa nouvelle notoriété lui permet de s'installer à New-York, de rencontrer et photographier les artistes qu'il admire : Pasolini, Truffaut, Warhol, Duchamp et bien sûr Magritte. En 1965, il se rend à Bruxelles pour le photographier chez lui avec sa femme. Il en publie une série marquée par l'univers surréaliste du peintre, par un jeu des transparences et de superpositions, il rend hommage aux œuvres du peintre. 



Portrait de Magritte, 1965


Ces séquences mises en scène prennent le contre-pied de la photographie documentaire : saisir la fugacité d'un instant (décisif ou pas). Au contraire, les séquences ainsi composées donnent l'impression d'en étirer le temps. 


Chance meeting, 1970.


I Build A Pyramid, 1978

Il poursuit cependant ses recherches et explore d'autres manières de produire des images : il n'hésite pas à prendre le pinceau pour transformer des photos (comme l'album du groupe Police en 1983) ou parfois de vieux clichés comme sa récente série sur les écrivains français.








Duane Michals est aujourd'hui une grande figure de la photographie qui porte un regard sans concession sur le marché de l'art et ses dérives : dans un recueil appelé Foto Follies dans lequel il parodie avec férocité le travail de la  photographe Cindy Sherman.... Tout un programme !




  « Pourquoi une toile d'Andy Warhol coûterait plus d'argent que tout ce que je pourrais acquérir dans ma vie ? L'art est peut-être mort le jour où on a eu l'idée de le commercialiser. »




Aller plus loin
Interview en français de Duane Michals par Jennifer Couëlle
http://cielvariablearchives.org/en/component/content/article/583-duane-michals.html 

                                                                 
                                                                                                                         Jean-Christophe Diedrich

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